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  • Photo du rédacteurThibaut Pilatte

La réintroduction est-elle toujours la meilleure solution ?


Réintroduction d’oryx d’Arabie (Oryx leucoryx)

Réintroduction d’oryx d’Arabie (Oryx leucoryx) dans une réserve en Jordanie ©WAM



Ce n’est un secret pour personne, la biodiversité traverse actuellement une crise avec la 6ème extinction de masse. 7,5 à 13% des espèces animales et végétales auraient disparu depuis le XVIème siècle, soit 150 000 à 240 000 espèces. Certaines sont mondialement connues comme le dodo (Raphus cucullatus) ou le thylacine (Thylacinus cynocephalus). D’autres le sont beaucoup moins comme la rhytine de Steller (Hydrodamalis gigas) ou le grand pingouin (Pinguinus impennis). Et des milliers d'autres que la science n'a même pas eu le temps de décrire.

Les raisons de ces extinctions sont nombreuses et souvent liées aux activités humaines. La chasse, l’introduction d’espèces invasives, la destruction et la transformation des habitats, la pollution, la déforestation, les activités minières, l’agriculture intensive … la liste est longue.

Pour faire face à cette extinction de masse, une prise de conscience émerge peu à peu, c’est la conservation des espèces animales et végétales. Aujourd’hui, la réintroduction d’espèces animales et végétales dans le cadre d’action conservatoire est largement médiatisée, offrant en général un buzz, une belle histoire et une mise en avant de l’espèce.

Toutefois, sauver une espèce ne passe pas forcément par sa réintroduction.


De tout temps l’Homme a déplacé volontairement ou non des espèces pour différentes raisons avec parfois des conséquences catastrophiques. L’introduction du renard roux (Vulpes vulpes) en Australie pour lutter contre l’expansion du lapin, est aujourd’hui l’une des principales causes du déclin de la biodiversité australienne. Le renard massacre en effet les populations de marsupiaux et de nombreuses espèces sont au bord de l’extinction.

Dans les années 40, l'Allemagne nazie importe le raton laveur (Procyon lotor) pour l’industrie de la fourrure. Des individus s’échappent dans la nature et aujourd’hui 1 000 000 d’individus sillonnent l’Allemagne. Sans prédateur naturel, ils s’attaquent aux nids des oiseaux.

En France, nous avons le cas de la tortue de Floride (Trachemys scripta), largement démocratisée dans les animaleries à la fin du XXème siècle et introduite en masse dans nos rivières. Elle entre alors en concurrence alimentaire avec la cistude d’Europe (Emys orbicularis).

Tous ces exemples montrent à quel point l’équilibre est fragile et l’Homme peut le déséquilibrer. C’est pourquoi l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) a émis des directives afin de contrôler les relâchées d'animaux. Cela implique notamment de vérifier la taxonomie des individus, qu’il fasse bien partie de la même espèce ou sous-espèce que les individus sauvages.

Réintroduire des individus dans une forêt qui sera rasée dans 10 ans n’a aucun intérêt.

  • Est-ce que le milieu est protégé ?

  • Est-ce qu’il est adapté à l’espèce ?

  • Quel est l’impact de son introduction sur les autres espèces ?

Ces questions sont essentielles à la réussite d’un projet. Bien sûr, il y a également le travail postérieur à la réintroduction.

  • Est-ce que les individus ont survécu ?

  • Ont-ils réussi à se nourrir ?

  • A se reproduire ?



L’élevage en captivité, une solution ?


Certaines populations ont des effectifs tellement faibles que leur survie à long terme est menacée. Avec le manque de diversité génétique, il y a un goulot d'étranglement qui peut amener à de la consanguinité. Le système immunitaire est moins résistant et des malformations peuvent apparaître. A travers cet article, nous aborderons les effectifs de certaines espèces pour justifier les tendances de population. Les espèces ont des seuils de population viable différent et ces effectifs n'ont pas de réels intérêt scientifique. En effet, des animaux se reproduisent quand d'autres ne peuvent pas pour diverses raisons. Des individus meurent avant l'accouplement. D'autres ne se reproduisent pas car leur système social leur interdit, par exemple le loup gris (Canis lupus lupus) où seul le couple dominant peut procréer.


Certaines espèces comme le grand hamster (Cricetus cricetus) sont sous perfusions de réintroductions. Ce rongeur, classé “en danger critique d'extinction”, en France, bénéficie d’un Plan National d’Action (PNA). Ainsi chaque année plusieurs centaines de hamsters sont relâchés dans les champs d’Alsace.

C’est pour cette raison que la réintroduction d’autres ours bruns (Ursus arctos) dans les Pyrénées est demandée par bon nombre d’associations. En 2021, 70 ours bruns y ont été recensés mais la diversité génétique reste faible. Malheureusement, des peurs ancestrales compliquent son expansion. Il est vrai qu’il peut s’attaquer au bétail, mais il reste faible (1% des pertes). Il joue un rôle écologique important et reste le plus gros mammifère terrestre français.

Au Brésil, dans les années 1970, il ne restait que 200 tamarins lions dorés (Leontopithecus rosalia), 140 individus nés dans des parcs zoologiques ont été relâchés. Même si l’espèce reste menacée notamment par la déforestation. Cette action a permis d’assurer un avenir plus sûr à l’espèce.


Pour certains taxons, il n’y en avait tout simplement plus qu’en captivité jusqu’à des actions d’élevage in situ, c'est-à-dire dans le milieu naturel.

C’est le cas du ara de Spix (Cyanopsitta spixii), le héros du film d’animation Rio. Déclaré éteint en milieu naturel en 2018, 7 individus ont été relâchés au Brésil et d’autres devraient suivre le même chemin à court terme, une formidable nouvelle.

Autre cas, moins récent, le cheval de Przewalski (Equus ferus przewalskii), déclaré éteint jusqu’en 1990. Aujourd’hui, plusieurs dizaines de chevaux parcourent les vastes plaines de la Mongolie.

L’oryx d’Arabie (Oryx leucoryx) était déclaré éteint en milieu naturel jusqu’en 1980. Grâce à un travail de réintroduction et de réduction des menaces, on compte aujourd’hui 850 individus sauvages. En 2011, l’espèce est même passée de “en danger” à "vulnérable''. Une première.

Toutefois certaines espèces n’ont pas eu cette chance et demeurent uniquement en captivité, c’est le cas du cerf du Père David (Elaphurus davidianus) ou de l’oryx algazelle (Oryx dammah), il y en a déjà de relachés mais leurs statuts UICN n'ont pas évolué et la tourterelle de Socorro (Zenaida graysoni).


La réintroduction peut également permettre à une espèce de retrouver une zone d’occupation où elle avait disparu localement. C'est le cas du diable de Tasmanie (Sarcophilus harrisii) et du chat marsupial tacheté (Dasyurus viverrinus) qui ont regagné l’Australie continentale après respectivement 3 000 et 50 ans d’absence.

En 2019, la loutre géante (Pteronura brasiliensis) est réhabilitée en Argentine où elle était considérée comme éteinte. Une bonne nouvelle pour l’espèce classée globalement comme “en danger”.


Les individus relâchés ont de nombreuses origines.

Certains proviennent de zoos où les programmes d'élevage appelés EEP (en Europe), ont pour missions d’assurer une bonne diversité génétique et de constituer des populations de sauvegarde.

Il peut y avoir également des animaux venant de stations d’élevages. En France, il y a par exemple un centre d’élevage pour le grand hamster (Cricetus cricetus). En Allemagne, l’Association for the Conservation of Threatened Parrots (ACTP) reproduit plusieurs psittacidés menacés. Certains animaux proviennent d’éleveurs privés, notamment les oiseaux. Un partenariat entre le Zoo de Mulhouse et l’association d'éleveurs World Pheasant Association (WPA) a permis de mettre en place un programme de réintroduction du faisan d’Edwards (Lophura edwardsii) au Vietnam. Il n’a plus été vu dans la nature depuis une bonne dizaine d’années.


Réhabilitation de pélican bruns (Pelecanus occidentalis)

Réhabilitation de pélican bruns (Pelecanus occidentalis) ©U.S. Department of the Interior


La réhabilitation d’animaux ayant déjà connu le milieu naturel est plus fréquente que la réintroduction d’animaux captifs. Cela concerne des animaux blessés, malades ou victimes de trafic. Bon nombre de refuges et de centres de sauvegarde de la faune sauvage agissent dans le monde entier pour réhabiliter ces animaux. Les contraintes financières et logistiques ne sont pas les mêmes et les espèces concernées ne sont pas autant menacées dans la majorité des cas. En France, on peut citer Hegalaldia, Athéna ou encore Alca Torda. A l’étranger, Merazonia et Kalaweit réhabilitent des animaux respectivement en Equateur et en Indonésie mais bien d’autres existent.



Pas toujours la meilleure solution


La réintroduction coûte très cher. Le travail en amont est important, en plus de l’entretien des animaux (nourriture, installations, soigneurs, vétérinaires). C’est un travail de longue haleine qui s’étend en général sur plusieurs décennies. De plus, c’est un travail colossal sur une seule espèce, ce sont en général des espèces parapluies. C'est-à-dire que leur protection bénéficie aux autres espèces. Toutefois, il serait illusoire de croire qu’il s’agisse de la solution miracle. Il n’est pas possible d’élever toutes les espèces en captivité pour des raisons de place, d’installation ou encore de bien-être animal (typiquement la baleine).

C’est pourquoi la réintroduction n’est pas la seule action conservatoire. Protéger les milieux naturels et réduire les menaces sans forcément utiliser la réintroduction est plus efficace dans le sens où elle est moins coûteuse, moins dangereuse pour l’écosystème et surtout moins aléatoire. Même si les résultats en matière de réintroduction s'améliorent chaque année, la réussite d’un projet n’est pas assurée. C’est pourquoi la légitimité de cette action doit bien être établie.



Autres actions conservatoire


Certaines associations ont fait le choix de sanctuariser des zones, c’est le cas des associations ASPAS et Kalaweit respectivement en France et en Indonésie.


D’autres ont fait le choix de développer une économie locale afin de réduire les menaces sur le milieu. En Bolivie, l’association Armonia forme les boliviens à l’apiculture et à l’écotourisme pour protéger l’ara de Lafresnaye (Ara rubrogenys).

Au Niger, l’Association pour la Sauvegarde des Girafes du Niger accorde des microcrédits aux villageois afin de développer leur activité en échange de la protection des girafes du Niger (Giraffa camelopardalis peralta).

En Equateur, le Proyecto Washu a créé une marque de chocolat éthique, le Washu chocolate. Elle assure un certain revenu aux exploitants et les fonds sont utilisés pour la protection de l’atèle à tête brune (Ateles fusciceps).



Que retenir ?


Grâce aux élevages en captivité, la réintroduction a permis de sauver des espèces animales ou de renforcer des populations afin d’assurer une meilleure diversité génétique. Certaines espèces ont également retrouvé des zones d’occupation où elles avaient disparu.

Toutefois, cette pratique a des limites, notamment les coûts financiers et humains, ainsi que l’impossibilité de le faire sur toutes les espèces. Elle est utilisée en cas de dernier recours et pour les espèces les plus menacées. C’est pourquoi des associations et programmes de conservation se focalisent davantage sur la protection des milieux et la réduction des menaces. Favorisant ainsi tout l’écosystème, des plantes jusqu’aux carnivores tout en haut de la chaîne alimentaire.



Références :



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