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  • Clément Ganier

Comment sauver les rhinocéros de Sumatra ?


Rhinocéros de Sumatra (Dicerorhinus sumatrensis sumatrensis)

Rhinocéros de Sumatra (Dicerorhinus sumatrensis sumatrensis) au Sumatran Rhino Sanctuary en Indonésie ©Willem Strien

La déforestation est une des principales causes de la diminution de la biodiversité sur Terre : la situation démographique de certains pays entraîne l’explosion des besoins en ressources, et la gestion des exploitations forestières passe après le profit. Le phénomène a triplé en Malaisie et en Indonésie entre 2001 et 2014 (Hughes, 2018), alors que cette région tropicale renferme des écosystèmes extrêmement riches mais fragiles. Les rhinocéros de Sumatra (Dicerorhinus sumatrensis), drôles d’habitants trapus et poilus du Sud-Est asiatique, sont des mammifères menacés vivants au cœur de cette problématique : ils sont classés en danger critique d’extinction par l’Union Internationale de la Conservation de la Nature (IUCN). Et pour cause, les effectifs de leurs populations ont chuté drastiquement pour diverses raisons, entrainant en 1984 la mise au point d’un plan de conservation ex-situ (hors terrain) international. Cette tentative de dernière minute avait pour but d’endiguer l’extinction imminente de l’espèce en proposant la capture d’individus sauvages pour les élever en captivité. Les années suivantes furent riches en études sur ces insaisissables créatures, mais un échec pour la reproduction ex-situ de ces animaux. Face à une pareille désillusion, il fût important de reconsidérer les efforts à apporter, et d’axer la conservation sur des programmes in-situ (sur le terrain). Alors comment le rhinocéros de Sumatra peut-il être sauvé ?

Habitat : contexte et menaces

Les rhinocéros de Sumatra ne vivent pas uniquement, comme leur nom l’indique, à Sumatra : il existe trois sous-populations aujourd’hui vivants en Malaisie ainsi que sur les îles de Bornéo et de Sumatra (Goossens et al., 2013). On considère par ailleurs que ces sous-populations contiennent trois sous-espèces (Radcliffe & Khairani, 2019) : D. sumatrensis sumatrensis présente sur l’île de Sumatra, D. sumatrensis harrissoni présente sur l’île de Bornéo et D. sumatrensis lasiotis que l’on considère éteinte, qui vivait de la Malaisie jusqu’en Birmanie. La majorité de ces rhinocéros vit donc en Indonésie (regroupant Sumatra et une part de Bornéo), pays recouvrant plus ou moins trois fois la surface de la France avec près du quadruple de sa population.

De nombreuses études anglophones qualifient cette espèce de « elusive » que l’on peut interpréter en français par « insaisissable », et pour cause : classée en danger critique d’extinction par l’IUCN, on estimait en 2005 qu’il ne restait pas plus de 400 individus sauvages (Zainal Zahari et al., 2005), et l’on s’accorde aujourd’hui à dire qu’il n’en resterait qu’environ 80. Principalement au sein de réserves protégées, ils se partageraient aujourd’hui une aire de 30.345 km² (Pusparini et al., 2015), à titre de comparaison à peine plus grande que la Normandie.

Déjà fragilisée par la fragmentation de leur habitat en îles à la fin du pléistocène (Mays et al., 2018), les rhinocéros de Sumatra vivent aujourd’hui en contact forcé avec les Hommes. La démographie de ces pays du Sud-Est asiatique est telle que les besoins en nourriture n’ont cessé de croître, et l’essor de l’agriculture cherche à résoudre ce problème. Afin d’augmenter les surfaces cultivables mais aussi de récolter du bois qui transitera à l’international, les forêts sont rasées (Flynn & Abdullah, 1984), réduisant toujours plus l’habitat des espèces qui y vivent. Le braconnage touche aussi de près les individus hors des aires protégées : leur corne s’inscrit illégalement dans la médecine traditionnelle asiatique, et principalement chinoise (Flynn & Abdullah, 1984).

Les pressions imposées à ces écosystèmes riches de biodiversité sont fortes et impactent bien d’autres habitants de la forêt : tigres, éléphants, tapirs, orang-outans ou encore calaos subissent de plein fouet le désastre écologique (Sulistyawan et al., 2017). Sur une île plus au Sud de Sumatra vit une autre espèce de rhinocéros : le rhinocéros de Java (Rhinoceros sondaicus), dont la situation semble plus catastrophique et qui court à l’extinction (Radcliffe & Khairani, 2019). Pour éviter que les rhinocéros de Sumatra suivent le même chemin, des situations d’urgences ont été envisagées : plus pragmatiques, elles ont alors envisagé de régler les problèmes d’effectifs sans tenir compte des problèmes de l’habitat.

Rhinocéros de Sumatra (Dicerorhinus sumatrensis)

Rhinocéros de Sumatra (Dicerorhinus sumatrensis) ©Internationnal Rhino Foundation

Conservation ex situ : avancées et désillusion

C’est en 1984 que s’est tenu un congrès international à Singapour avec pour but de trouver une solution pour sauver les rhinocéros de Sumatra. Au chevet de l’insaisissable créature se rassemblent des biologistes de l’IUCN, des membres des gouvernements malaysiens et indonésiens mais aussi des directeurs de zoos internationaux. Un plan est mis en place et débutera 4 ans plus tard sous le nom de Sumatran Rhinoceros Trust (SRT). Inspiré de programme à succès ayant réhaussé les effectifs des bisons d’Amérique, des oryx d’Arabie ou encore des tamarins-lions dorés, le SRT prévoit la capture d’une quarantaine d’individus sauvages à destination de zoos malaysiens, indonésiens, britanniques et américains pour y assurer leur élevage. Au total, malgré l’abandon de quelques zoos dont les budgets ne pouvaient pas assurer les coûts de ces délocalisations forcées, 46 rhinocéros seront capturés (Pusparini et al., 2015), pour un budget de 3 millions de dollars américains.

Devenant des sujets d’études scientifiques, ces individus captifs ont permis d’accroître nos connaissances sur leur mœurs mais aussi sur la manière dont ils se reproduisent. Alors que le caractère agressif du mâle lors de l’accouplement nécessite une vigilance particulière, la présence d’obstacles dans les enclos s’est révélée utile pour aider les femelles à fuir (Zainal Zahari et al., 2005). Le caractère solitaire des individus (Flynn & Abdullah, 1984) est respecté au mieux à l’aide d’enclos séparés, mais le contact avec le mâle reste obligatoire pour que la femelle entre en œstrus, phase courte de 24h durant laquelle elle est féconde (Zainal Zahari et al., 2005). Afin de maximiser les chances de reproduction, des critères et des protocoles ont été testés pour récolter les semences des mâles (Agil et al., 2008) afin de réaliser des inséminations artificielles : des techniques inefficaces comme l’électroéjaculation ont pu alors être écartées.

Face aux efforts déployés, les résultats sont maigres : entre 1984 et 1995, la moitié des rhinocéros de Sumatra captifs sont morts. L’inexpérience sur leur alimentation et sur les maladies auxquelles ils étaient sujets mit à mal le programme d’élevage. Une alimentation trop riche causa chez beaucoup d’entre eux des soucis gastro-intestinaux, tandis que le soleil dont ces discrets habitants des sous-bois n’étaient pas habitués eu raison de leurs yeux fragiles. Une étude plus récente menée par Watanabe et al. (2016) démontra chez deux individus morts au zoo de Cincinnati une hémochromatose : leur alimentation était trop riche en fer, ce qui affecta le foie de manière irréversible. Cette maladie touche certaines espèces captives qui ne sont pas habituées à consommer de trop grandes quantités de fer, mais elle est heureusement identifiable par résonance magnétique nucléaire (NMR). La médecine préventive via des contrôles de routine réguliers (taille, poids, tests sanguins) apparaît alors comme nécessaire pour assurer le maintien en captivité de ces espèces fragiles (Radcliffe & Khairani, 2019).

En 2001 cependant, après plusieurs fausses couches d’Emi, la femelle du zoo de Cincinnati, la naissance d’Andalas fut reçue comme une réussite. Premier nouveau-né viable de ce programme, il fut suivi par deux autres rhinocéros. En 2007, il retourna au parc de Way Kambas sur l’île de Sumatra, et alla vivre au Sumatran Rhino Sanctuary, où il put se reproduire deux fois avec succès. Au total, ce ne sont que 6 naissances qui ont étaient enregistrées, alors que 46 rhinocéros avaient été capturés. Le bilan catastrophique du programme d’élevage ex situ conduisit donc la communauté scientifique à une remise en question des priorités pour la survie de cette espèce, incluant alors la préservation in situ.

Rhinocéros de Sumatra (Dicerorhinus sumatrensis)

Rhinocéros de Sumatra (Dicerorhinus sumatrensis) ©Ltshears

Conservation in situ : espoirs et efforts

Pendant les 34 années qu’a connu le programme infructueux que fut le Sumatran Rhinoceros Trust, la situation en Indonésie et en Malaisie n’a fait que s’aggraver. Les problématiques sont les mêmes mais l’intensité n’a fait que croitre. Le risque d’extinction encourut par les rhinocéros de Sumatra s’est accentué et d’autres initiatives doivent être envisagées. Avec des populations de moins en moins denses et de plus grands risques d’approcher des zones urbaines, des déménagements peuvent être effectués. C’est ce que suggère Flynn & Abdullah (1984) ou encore Goosens et al. (2013) : regrouper les rhinocéros sauvages dans des aires protégées, à l’abri de la destruction de leur habitat et du braconnage.

Rapprocher les individus dans des aires surveillées mais naturelles offre une alternative à l’élevage en captivité. Cependant, étant donné la séparation des rhinocéros de Sumatra en deux sous-espèces, une question vient quant à la posture à adopter avec ces deux populations distinctes. Un parallèle existait déjà avec les rhinocéros de Java (Rhinoceros sondaicus), dont les efforts ont été apportés différemment selon deux sous-populations, mais seule l’une d’entre elle a survécut (Goossens et al., 2013). La situation étant aussi critique pour les rhinocéros de Sumatra, et afin d’apporter un minimum de diversité génétique, on peut supposer préférable de mélanger les deux sous-espèces.

La conservation in situ passe entre autres par la mise en place de centres locaux dans lesquels peuvent être élevés plus facilement les rhinocéros. Celui de Way Kambas ouvert en 1998 sur l’île de Sumatra, ayant par exemple déjà eu des naissances viables, peut devenir un point d’appui essentiel pour réintroduire des individus nés en captivité. Pour pouvoir permettre la réintroduction, il sera nécessaire de mieux maitriser la reproduction des rhinocéros ou bien l’insémination artificielle. Une étude menée par Roth et al. (2016) décrit les critères essentiels pour le prélèvement de sperme post-mortem, applicable sur des individus captifs ou sauvages, à des fins d’inséminations artificielles. Elle met notamment en exergue la nécessité de prélever les échantillons rapidement et d’utiliser des méthodes de conservation adaptées, via une congélation dans une cuve azotée par exemple.

La conservation in situ passe bien entendu aussi par la préservation de l’environnement. Alors que Hughes (2018) souligne que les prochaines décennies seront fatales aux forêts non-protégées en Indonésie et en Malaisie, les administrations locales se doivent de réagir. Le gouvernement indonésien a d’ores et déjà développé une initiative intelligente pour reconnecter les habitats sauvages en créant le couloir RIMBA, s’étalant sur les provinces de Riau, Jambi et Barat, dans lesquelles des éco-routes ont été développées (Sulistyawan et al., 2017). Se basant sur des études comme celle menée par Pusparini et al. (2015) démontrant l’impact négatif des routes sur les populations sauvages de rhinocéros de Sumatra, l’initiative favorise les routes non goudronnées et sans barrières pour laisser un libre passage aux espèces environnantes. L’étude de Sulistyawan et al. (2017) a démontrée que les éco-routes ont un impact positif sur les tigres et les éléphants de Sumatra, mais n’a pas évaluer leur effet sur les rhinocéros, bien qu’une population vît dans ces provinces.

La conservation d’une espèce fragile menacée d’extinction est une entreprise complexe qu’il faut mener dans les meilleures conditions. Les efforts colossaux qui ont été déployés pour rehausser les effectifs du rhinocéros de Sumatra (Dicerorhinus sumatrensis) se sont soldés par un terrible échec entrainant des pertes considérables dus à des lacunes scientifiques fatales. Alors que le futur s’annonce incertain pour les îles indonésiennes et malaysiennes (Hughes, 2018), il est important de prendre du recul sur la conservation de ce rhinocéros délicat et de se rappeler qu’il vit dans un écosystème avec une biodiversité très forte. Alors, comment la biodiversité de ces îles peut-elle être sauvée ?

Références :

Agil, M., Supriatna, I.M.A.N., Purwantara, B., et Candra, D.E.D.I. 2008. Assessment of Fertility Status in the Male Sumatran Rhino at the Sumateran Rhino Sanctuary, Way Kambas National Park, Lampung. HAYATI Journal of Biosciences 15, no 1: 39‑44.

Flynn, R. W., et Abdullah, M.T. 1984. Distribution and status of the Sumatran rhinoceros in Peninsular Malaysia. Biological Conservation 28, no 3: 253‑73.

Goossens, B., Salgado-lynn, M., Rovie-Ryan, J.J., Ahmad, A.H., Payne, J., Zainuddin, Z.Z., Nathan, S.K.S.S., et Ambu, L.N. 2013. Genetics and the last stand of the Sumatran rhinoceros Dicerorhinus sumatrensis. ORYX 47, no 3: 340‑44.

Hughes, A.C. 2018. Have Indo-Malaysian forests reached the end of the road? Biological Conservation 223: 129‑37.

Mays, H.L., JR., Hung, C.-M., Shaner, P.-J., Denvir, J., Justice, M., Yang, S.-F., Roth, T.L., Oehler, D.A., Fan, J., Rekulapally, S., et Primerano, D.A. 2018. Genomic Analysis of Demographic History and Ecological Niche Modeling in the Endangered Sumatran Rhinoceros Dicerorhinus sumatrensis. Current Biology 28, no 1: 70-76.

Pusparini, W., Sievert, P.R., Fuller, T.K., Randhir, T.O., et Andayani, N. 2015. Rhinos in the parks: An island-wide survey of the last wild population of the Sumatran rhinoceros. PLoS ONE 10, no 9.

Radcliffe, R.W., et Khairani, K.O. 2019.100 - Health of the Forest Rhinoceros of Southeast Asia: Sumatran and Javan Rhinoceros. In Fowler’s Zoo and Wild Animal Medicine Current Therapy, Volume 9: 707‑15.

Roth, T.L., Stoops, M.A., Robeck, T.R., et O’Brien, J.K. 2016. Factors impacting the success of post-mortem sperm rescue in the rhinoceros. Animal Reproduction Science 167: 22‑30.

Sulistyawan, B.S., Eichelberger, B.A., Verweij, P., Boot, R.G.A., Hardian, O., Adzan, G., et Sukmantoro, W. 2017. Connecting the fragmented habitat of endangered mammals in the landscape of Riau–Jambi–Sumatera Barat (RIMBA), central Sumatra, Indonesia (connecting the fragmented habitat due to road development). Global Ecology and Conservation 9: 116‑30.

Watanabe, M., Roth, T.L., Bauer, S.J., Lane, A., et Romick-Rosendale, L.E. 2016. Feasibility study of NMR based serum metabolomic profiling to animal health monitoring: A case study on iron storage disease in captive sumatran rhinoceros (Dicerorhinus sumatrensis). PLoS ONE 11, no 5.

Zainal Zahari, Z., Rosnina, Y., Wahid, H., Yap, K.C., et Jainudeen, M.R. 2005. Reproductive behaviour of captive Sumatran rhinoceros (Dicerorhinus sumatrensis). Animal Reproduction Science 85, no 3: 327‑35.

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