Léopard (Panthera pardus pardus) ©Steven Easley
Nous avons le plaisir de recevoir Cédric Zanello, fondateur de l’association “Des Félins pour Demain” (DFD) et Aboubacar Samoura, directeur général de l’Office Guinéen des Parcs et Réserves (OGPR). Ils nous présentent le “Projet Léopard”, un programme visant à étudier le léopard (Panthera pardus pardus) en Guinée.
Bonjour Cédric Zanello, pouvez-vous nous présenter votre projet ?
Il s'agit du tout premier projet "in situ” pour notre jeune association. Une réelle chance de pouvoir, à notre échelle, contribuer à la sauvegarde d'une espèce aussi emblématique que le léopard.
La première phase, d’une durée estimée à trois ans au moins, consistera à mener les études de base nécessaires à la compréhension de la vie du léopard au sein du Parc National du Haut Niger (PNHN). Son écologie, la densité et la distribution de sa population, et son rapport avec les populations humaines riveraines seront les thèmes des recherches qui seront entreprises.
Afin d’assurer un suivi scientifique de qualité, l’équipe reproduira le même protocole durant les 3 prochaines saisons sèches au PNHN (2023, 2024, 2025).
Plusieurs méthodes vont permettre d’étudier la population de léopards de la Zone Intégralement Protégée (ZIP) Mafou du PNHN :
-Le piégeage photo par capture-marquage-recapture : entre 50 et 100 pièges photographiques seront disposés de façon stratégique. Elles seront actives 24h/ 24 durant une période minimale prédéfinie.
-Les recces : régulièrement, des parcours seront effectués à pied par une équipe restreinte. Au cours de ces déplacements, des données seront enregistrées : observations directes ou indices de présence (déjections, empreintes, traces…), signes d’activités humaines. L’ensemble de ces informations seront géoréférencées et corrélées aux données des caméras et aux données génétiques.
- L’analyse génétique : durant le travail de terrain, des déjections de léopards seront collectées et géoréférencées. Les échantillons seront conservés de façon stérile et expédiés pour analyses.
Les collectes de données seront effectuées régulièrement, en équipe restreinte, de janvier à avril.
Pourquoi avoir choisi le léopard ? Certaines sous-espèces comme la panthère de l’Amour (Panthera pardus orientalis) semblent davantage menacées ?
Ma volonté première était de pouvoir agir de manière efficace sur le terrain, en toute honnêteté, nous n'avons pas ciblé de manière directe le léopard. C'est le résultat de plusieurs critères prédéfinis avec l'équipe. Dans l'état actuel des choses et de la situation dans laquelle se retrouve bien trop d'espèces, en choisir une aurait été un peu compliqué à mon sens. Nous nous sommes donc concentrés sur les possibilités s'offrant à Des Félins pour Demain (DFD), répondant à nos moyens financiers et nos compétences afin d'être le plus professionnel possible et d'apporter une aide concrète et durable.
Léopard (Panthera pardus pardus) dans un arbre ©Erika Simons
Quel est l’état des populations des léopards ?
Le léopard d’Afrique (Panthera pardus pardus) est l’une des 9 sous-espèces de léopard reconnues par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). C’est un grand carnivore emblématique des forêts et des savanes du continent. Animal solitaire et discret, son adaptabilité pourrait laisser croire qu’il n’est pas menacé. Ce n’est pourtant pas le cas, puisque la sous-espèce africaine dont il sera question tout au long de ce projet est classée comme quasi-menacée (Near Threatened, NT) par l’UICN.
Ainsi Panthera p. pardus ne se trouve plus aujourd’hui que sur 33% de son aire historique de distribution à l’échelle du continent africain. En Afrique de l’Ouest, dont la République de Guinée fait partie, la situation est encore plus dramatique puisque l’espèce a perdu de 86 à 95% de son aire historique. En Guinée, les données restent parcellaires, et aucune étude spécifique n’a jamais été menée, bien que la présence du léopard soit attestée en plusieurs endroits. Le Parc National du Haut Niger (PNHN) est l’un de ces lieux.
Quelle est la finalité du projet ?
L’équipe souhaite pouvoir, grâce à ces 3 années de collectes et d’analyses, caractériser de manière précise la population des léopards de la zone Mafou. Densité, distribution, préférences d’habitats et de proies. La compréhension de l’écologie générale de la population permettra d’adapter les mesures de conservation du parc. En outre, les données récoltées grâce aux pièges photo, aux observations par recces et aux analyses génétiques d’ADN environnemental apporteront des informations complémentaires précieuses concernant les autres espèces de moyens et grands mammifères de la zone d’étude. Nous espérons ainsi pouvoir mettre à la disposition des autorités du PNHN un état des lieux actualisé sur la situation des moyens et grands mammifères en général, et du léopard en particulier.
Quelles sont les personnes qui vous accompagnent sur ce projet ?
Depuis bientôt 2 ans l'équipe ne cesse de s'agrandir, faire une liste précise des personnes qui ont aidé “Des Félins pour Demain” jusqu'ici me paraît risqué mais toutes ces personnes ne manqueront pas de se reconnaître. On a la chance une fois encore de pouvoir compter parmi nos rangs Jean-marc Breheret qui est le président fondateur de l'association Leoplanet. Il s’agit pour le moment de notre unique partenaire financier mais également un soutien de choix au quotidien tant notre volonté d'action est commune et notre unique but reste de pouvoir protéger la faune et la flore que l'on aime tant.
La grande nouveauté est sûrement le fait de pouvoir compter sur des personnes qui ont déjà plusieurs années d'expérience sur le terrain. Notre équipe pour le projet léopard sera composée de :
Moussa Kaba, de nationalité guinéenne, qui est le représentant de “Des Félins pour Demain” en Guinée et l’assistant administratif et technique du projet. Il assure depuis plusieurs mois la mise en place du projet .
François Millimono, technicien terrain il sera l'assistant d'Eva Gaubert sur le terrain.
Vincent Lapeyre, coordinateur de projets d’appui à la gestion des aires protégées durant plus d’une décennie en Afrique de l’Ouest, est spécialisé dans la conservation des grands félins (lions, léopards, guépards). Ayant auparavant effectué des observations personnelles de léopards dans le PNHN, il soutient le projet et apporte son expertise pour la réalisation de ce dernier.
Eva Gaubert, biologiste expérimentée dans la conservation des grands félins (guépards en captivité, léopards en milieu sauvage) sera active sur le terrain durant les saisons sèches pour effectuer les collectes de données afin d’obtenir des résultats sur la population de léopards du PNHN. Elle travaillera en étroite collaboration avec Sébastien DEVILLARD, chercheur au CNRS, et le laboratoire de recherche de biométrie et biologie évolutive (LBBE) de l’Université de Lyon en France.
Comment vous aider ?
Je pense que le meilleur moyen reste l'information et la sensibilisation auprès du public. Au-delà du projet léopard nous aimerions également venir en soutien aux équipes de l'Office Guinéen des Parcs et Réserves présentes au sein du PNHN. Leur travail est complémentaire au nôtre, sans surveillance et appui de leur part, toute étude aussi bien réalisée soit elle ne pourrait avoir de réel impact .
Malheureusement il y a toujours le problème financier qui entre en compte et nous sommes donc continuellement à la recherche de partenaires pouvant soutenir nos actions et rendre cela possible.
D’autres projets sont-ils à l'étude ?
En toute transparence on va déjà tout faire pour mener à bien ce projet qui nous tient à tous très à cœur. C'est un projet ambitieux mais l'impact qu'il pourrait avoir en cas de réussite, suffit à nous donner l'énergie nécessaire quand on connaît des jours un peu plus difficiles. Je pense que la plus belle des finalité, qui est purement, le fruit du rêveur que je suis serait de pouvoir faire en sorte que le PNHN deviennent une nouvelle zone sûre pour les lions d’Afrique de l’Ouest (Panthera leo senegalensis)… je ferais tout pour en tout cas !
Léopard (Panthera pardus pardus) ©Dushenkov
Nous recevons maintenant Aboubacar Samoura ancien Conservateur en Chef du PNHN et Directeur Général de l’Office Guinéen des Parcs et Réserves (OGPR).
Bonjour Monsieur Samoura, pouvez-vous nous présenter le PNHN ?
Le PNHN est l'un des plus grand Parc de la Guinée, créé en 1997, il est bâti autour de deux Forêts classées (ZIP) à savoir la FC de la Mafou 55400ha et la FC de la Kouya 67400ha. Le Parc est situé entre deux régions administratives (Kankan et Faranah) et couvre quatre préfectures (Dabola, Kouroussa, Faranah et Kankan). Il a été érigé en réserve de biosphère en 2002 et compte 2 antennes de surveillance et postes de surveillance. Les principales pressions sont le braconnage, la coupe du bois, la pêche, les feux de brousse, l'agriculture itinérante sur brûlis et l'exploitation de l'or.
Que représente le “projet léopard” pour vous ?
Le projet léopard constitue pour le Parc une lueur d'espoir. Il va permettre au parc d'avoir son propre programme de suivi des félins en particulier et de leurs proies.
Quelles espèces sont présentes sur le PNHN ?
De nos jours on trouve les buffles de savane et de forêt, l’hippopotame amphibie, le chimpanzé, le chacal, le bubale, le céphalophe à dos jaune, le léopard, la mangouste, le serval, le Kob de Buffon, le kob de fassa, l’hippotrague, le pangolin géant, l'orycterope, le patas, le babouin de Guinée, le vervet et quelques fois le lion qui fait des aller retour.
L'évaluation des populations de léopards et leur protection pourraient-elles servir à d’autres espèces ?
En effet, étant considérée comme une " espèce parapluie ", la protection des léopards va servir les autres espèces qui sont non moins importantes.
Quelle relation entretiennent les guinéens avec le léopard ? Est-ce un animal qui suscite la peur ou fascine ?
De façon générale, les léopards suscitent la peur chez tous les Guinéens par peur d'être dévorés par cet animal qui est pourtant très craintif qui attaque rarement l’Homme.
Peut-il s’attaquer au bétail ou l’animal évite au maximum l’Homme ?
En avril 2021, nous avons retrouvé les carcasses de deux boeufs et un phacochère probablement tués par les léopards. C'est un animal très discret qui aime se promener la nuit.
Le développement de l'écotourisme semble être l’un de vos combats avec également la réduction du braconnage et la coupe illégale de bois. Quelle est la situation actuelle ?
Actuellement, le taux de braconnage a beaucoup baissé suite à l'application de la loi dans le Parc et les patrouilles de lutte anti-braconnage que j'ai dirigé en personne.
Pour une autonomisation de la gestion il est important pour nous d'aménager le Parc à travers l'ouverture des pistes de circulation, la construction des miradors, l'aménagement des salines et les bungalows pour l'accueil des touristes.
Un grand merci à Cédric Zanello et Aboubacar Samoura pour cette interview !
Des Félins pour Demain : https://desfelinspourdemain.com/
Parc National du Haut Niger : https://pn-haut-niger.net/
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