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  • Photo du rédacteurThibaut Pilatte

L’aye-aye, une espèce méconnue aux origines floues


Aye-aye (Daubentonia madagascariensis)

Aye-aye (Daubentonia madagascariensis) ©Duke Lemur Center



Un animal solitaire à la densité très faible


L’aye-aye (Daubentonia madagascariensis) est endémique de Madagascar. Il occupe différents types de milieux: forêts pluviales primaires, forêts de feuillus, forêts sèches ou encore mangroves jusqu’à 1800 mètres d’altitude. On le retrouve parfois dans les zones agricoles ou même urbanisées.

Son mode de vie noctambule et le peu d’observations de cette espèce en milieu naturel rendent difficile la compréhension de cette espèce. Il semblerait que le aye-aye soit solitaire mais qu’il puisse se rassembler par moment. Fait étonnant, il passe beaucoup plus de temps au sol que les autres primates malgaches, excepté le maki catta (Lemur catta).

Les domaines vitaux sont gigantesques, 125 à 215 hectares pour les mâles et 30 à 40 hectares pour les femelles. La densité d’individus est donc extrêmement faible. Les femelles se reproduisent avec plusieurs mâles et inversement. 1 seul petit vient au monde après 152 à 172 jours de gestation.


Aye-aye en train de forer un tronc à l’aide de son doigt

Aye-aye en train de forer un tronc à l’aide de son doigt ©Duke Lemur Center



Une écologie unique


Il s’agit du plus grand primate nocturne au monde. Le aye-aye pèse autour de 2,5 kg pour une taille comprise entre 36 et 44 cm.

Son alimentation se compose de fruits, de noix de coco, de bambou, de nectar, de litchis, de mangues et de larves d’insectes xylophages (qui se nourrissent de bois). Son corps est d’ailleurs parfaitement adapté à ce mode de vie. Ses doigts sont longs et fins, le troisième l’est encore plus afin de capturer les larves d’insectes. Il pourrait même les détecter en tapotant ce dernier sur les troncs. Son doigt possède une articulation à rotule afin d’avoir une meilleure amplitude de mouvements et manipuler les noix de coco.

Son seul prédateur est le fossa (Cryptoprocta ferox), le plus grand carnivore malgache. Nous avions déjà un article sur cette espèce ici.



Pas toujours considéré comme un primate


Pas facile de placer un animal qui partage des caractéristiques avec de nombreux animaux très différents phylogénétiquement. Des incisives de rongeurs, une queue d’écureuil, des oreilles de chauves-souris, une face d’opossum. Le aye-aye a même été nommé Sciurus madagascariensis et considéré donc pendant un temps comme un écureuil.

Le naturaliste français Etienne Geoffroy Saint-Hilaire pense que c’est un primate. Il crée le genre Daubentonia en 1795 et renomme l’espèce Daubentonia madagascariensis. Certains auteurs continuent par la suite d’affirmer que c’est un rongeur.


Aujourd’hui, il est bien classé dans l’ordre des primates dans lequel il y a 2 sous-ordres:

  • Les Haplorrhiniens qui regroupent les tarsiiformes (ou tarsiers) et les simiiformes (ou singes).

  • Les strepsirrhiniens qui regroupent les lorisiformes (loris et galagos), les lémuriformes (lémuriens) et les chiromyiformes (le aye-aye).


Le aye-aye est le seul primate à avoir 18 dents, les autres primates strepsirrhiniens en possèdent 36 en général.


Aye-aye (Daubentonia madagascariensis)

La queue semblable à celle de l’écureuil est bien visible ci-dessus ©Duke Lemur Center



Le mystère de son évolution enfin résolu ?


Pendant longtemps, les scientifiques pensaient que tous les lémuriens ainsi que le aye-aye avaient un seul ancêtre en commun et que c’étaient les premiers placentaires à coloniser Madagascar. Des études récentes tendent à prouver le contraire. Les lémuriens seraient arrivés sur l’île à une date proche de celle des carnivores malgaches (Eupleridae), il y a 30 millions d’années.

En 2018, une étude est réalisée sur le Propotto, une espèce fossile vivant au Kenya, à l’époque du miocène. Elle a été considérée autrefois comme une chauve-souris. Il s’agirait en réalité d’un cousin et serait le plus proche parent du aye-aye.

Le aye-aye est aujourd’hui la seule espèce vivante du genre Daubentonia. Cela n’a pas toujours été le cas. Des fossiles trouvés au Sud et au Sud-Ouest de Madagascar révèlent une autre espèce éteinte, l’aye-aye géant (Daubentonia robusta). Il semblait partager les mêmes caractéristiques que le aye-aye actuel mais avec un poids 2,5 à 5 fois plus important !



L’un des primates les plus menacés au monde


L’aye-aye est aujourd’hui classé “en danger” par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Sa population a baissé de plus de 50% sur les 3 dernières générations (36 ans). Une nouvelle baisse d’au moins 50% est prévue sur les 3 prochaines générations. Entre 2000 et 2080, une baisse de 43% de son aire de répartition est estimée. De 2016 à 2020, il est même inscrit sur la liste des 25 espèces de primates les plus menacées au monde.

Comme les lémuriens, le aye-aye est menacé par la perte de son habitat. Les espèces Intsia bijuga et Canarium madagascariense sont les arbres préférés du aye-aye. Ils sont malheureusement abattus massivement afin de construire des bateaux et des maisons. L'île a perdu 44% de son couvert forestier depuis 1950 !

L’aye-aye paie également une mauvaise réputation. Dans certaines localités, rencontrer le primate amènerait mort et malheur. Le moyen de conjurer le sort serait de le tuer. C’est ainsi que régulièrement des dépouilles d’aye-ayes sont découvertes.



Une aire de répartition indéfinie


Comme expliqué précédemment, la présence du aye-aye est difficile à certifier par le manque d’observations. Seules des marques de passage ou la découverte de cadavres permettent d’assurer son occupation. Il vivrait dans des poches isolées à l’Est, au Nord et au Centre-Ouest de Madagascar.

Il existe également une petite population sur les Îles Roger et Nosy Mangabe. Sur cette dernière, il s’agit de 9 individus introduits sur l'île en 1960.


Jeune aye-aye au Duke Lemur Center

Jeune aye-aye au Duke Lemur Center ©Duke Lemur Center



Des mesures de conservation difficile à mettre en place


Le manque de données sur la répartition géographique complique la mise en place d’actions de conservation. Le aye-aye se reproduit dans de nombreuses zones protégées mais la législation est difficile à appliquer. L’objectif dans les prochaines années consiste à mieux recenser les individus afin de monter un plan d’action de conservation.

Pour éviter l’isolement des populations, des actions de translocalisation peuvent avoir lieu. C’est ainsi qu’en 2012, une femelle et sa progéniture ont été capturées dans une zone exploitée où la déforestation et les incendies étaient importants. Elles ont été relâchées dans une forêt sèche de la réserve d’Anjajavi.


En captivité, l’espèce fait l’objet de 2 programmes d’élevages dans les zoos européens (EEP) et zoos nord-américains (SSP). Ces programmes restent toutefois faibles avec 28 mâles, 29 femelles et 2 petits non-sexés selon les dernières données du logiciel Zims. La population semble aujourd’hui stagner.

En Europe, c’est le Zoo de Jersey qui coordonne l’EEP ainsi que le studbook. Cette institution a en effet une longue histoire avec le primate malgache. Dans les années 90, son fondateur Gerald Durell, véritable pionnier de la conservation animale avait fait un voyage à Madagascar afin d’en capturer et développer l’élevage de cette espèce. Son aventure est racontée à travers son livre “le aye-aye et moi”.

En Amérique du Nord, le Duke Lemur Center est une institution spécialisée dans l'élevage de primates malgaches. Ces dernières années, plusieurs naissances de aye-aye ont eu lieu.



Un grand merci au Duke Lemur Center, pour l’utilisation des photos !



Références :


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